La montagne magique

Les peintures d’Alexia nous proposent un écoulement du temps vers le bas, par un déploiement des forces rocheuses qui se liquéfient irrémédiablement- telle une masse compacte rejoignant l’élément originel du temps où les Alpes ne furent autres que l’Océan primordial. Ces interventions picturales nous interrogent sur le changement climatique en cours - où tous les phénomènes naturels semblent s’activer et s’accélérer en un bouleversement dû à l’activité déraisonnable de l’espèce humaine, laquelle s’accroît sans retour en arrière envisageable. Alexia peint de manière récurrente ce délitement rocheux, cette masse qui s’effondre – non pas brutalement, mais de manière continue, douce, sinueuse comme une montagne qui pleure son aspect d’antan: figé, inébranlable et monolithique- d’avant le réchauffement global, d’avant la fonte des glaciers. On peut aussi penser que la montagne se prépare à une gestation mystérieuse d’un état métamorphique, qu’elle est dans un processus de métamorphose sur l’échelle d’un temps accéléré.

Ici l’artiste a trouvé un artifice – un dispositif imparable pour soulever des tonnes de matières inamovible: elle les liquéfie par un procédé alchimique qui les fait fondre et s’évaporer en une brume légère – les rendant ainsi accessibles à leur base (on peut les soulever, les contourner) et les voici légères comme des volutes de nuages. Ne dit-on pas communément: L’amour, la foi, la puissance de l’art nous rend capable de soulever des montagnes?

L’artiste propose un détournement inédit de la représentation habituelle que l’on se fait des paysages montagneux: en dévoilant leur aspect liquide, elle nous rend accessible par un procédé proche des estampes japonaises (jette dans) l’ébullition des volcans. Il y a de l’eau, du feu, de la glace : matières en mouvance qui s’activent en un système imperceptible que l’artiste révèle avec pugnacité. Elle a vu, pressenti, voit et pressent ce qui est caché au commun des mortels- au-delà de l’apparente robustesse du corps montagneux se cache et s’écoule une source d’inspiration continue.

Rima Ayache

"La menace du beau annoncerait une situation météorologique s’améliorant ou qui s’ancrerait dans la promesse d’un soleil radieux-comme c’est souvent le cas à Sierre qui bénéficie d’un microclimat quasi permanent. Les montagnes protègent la région des perturbations venant de la Méditerranée et de l’Atlantique. Ironie du sort pour une exposition d’art contemporain en espace public. Qu’est-ce que le beau? Où est-il?… Il est la menace de ce qui se reflète dans les vitrines, un jeu de réflexions possibles d’un mot à l’autre en relation avec le paysage alentour. «L’art c’est la vie bordel» prolongerait un regard, une pensée. Comme si le beau était à craindre, comme si on n’osait pudiquement imaginer la suite meilleure. Tout se mélange, apparaît et disparaît.

Le présent projet est de se faire surprendre par d’improbables histoires de reflets. C’est une possible rencontre avec soi-même, les autres et l’état du monde depuis sa voiture ou en sortant d’un magasin. Ou bien encore de vérifier son allure en allant chez de Courten, au poste de police, en sortant du train et lire « tout vient à point … « ou + de tout - de rien ». Des scénarios à l’infini.

Il s’agit de s’interpeller sur ici et maintenant, d’avancer, de s’arrêter, hop hop on y va. Faire un souhait, atterrir, rêver, se réconforter, angoisser… être.

Quand il pleut à Sierre, les montagnes disparaissent, heureusement qu’il ne pleut presque pas, sinon il ferait moche. « Miroir ô mon miroir… » on y voit ce qu’on veut et ce qu’on peut. "

Alexia Turlin, 2020