Alexia Turlin

La pratique artistique d’Alexia Turlin questionne les espaces et leurs usagers. Elle crée là où on ne l’attend pas. On la retrouve un mois sur un petit voilier au Spitzberg, en expédition sur le glacier d’Aletsch ou à vélo en Équateur. Artiste rassembleuse et partageuse, Alexia Turlin a collaboré et soutenu des centaines d’artistes en marge de son travail personnel.

Comme l’écrit Laurence Schmidlin, «chez Alexia Turlin, l’art et la vie se confondent. Ils n’auraient aucune raison d’être séparément.». L’art c’est la vie bordel, c’est précisément l’exclamation par laquelle l’artiste accueille les visiteurs de l’exposition d’Hermance, dans une nouvelle itération de ce travail protéiforme - qui se décline aussi bien sur des sachets de sucre frappés de l’inscription quelque peu provocatrice, que sous la forme d’une sculpture de métal découpé, de plusieurs mètres de haut, qui investit la prairie de la propriété d’Hermance, avec le lac et le Jura en toile de fond. Comme une exhortation à s’arrêter pour mieux voir et s’immerger dans la nature alentour. Par cette volonté de dissoudre la séparation entre l’art et l’expérience vécue, en s’intéressant aux objets ordinaires, aux actions quotidiennes, ou aux infimes miracles de la nature, elle s’inscrit dans la lignée d’artistes tels que Marcel Duchamp, Joseph Beuys ou John Cage, pour qui l’art et la vie sont intrinsèquement liés.

Et pour donner vie à cette démarche, Alexia Turlin propose une promenade artistique et créative à la découverte du parc et des œuvres

La montagne magique

Les peintures d’Alexia nous proposent un écoulement du temps vers le bas, par un déploiement des forces rocheuses qui se liquéfient irrémédiablement- telle une masse compacte rejoignant l’élément originel du temps où les Alpes ne furent autres que l’Océan primordial. Ces interventions picturales nous interrogent sur le changement climatique en cours - où tous les phénomènes naturels semblent s’activer et s’accélérer en un bouleversement dû à l’activité déraisonnable de l’espèce humaine, laquelle s’accroît sans retour en arrière envisageable. Alexia peint de manière récurrente ce délitement rocheux, cette masse qui s’effondre – non pas brutalement, mais de manière continue, douce, sinueuse comme une montagne qui pleure son aspect d’antan: figé, inébranlable et monolithique- d’avant le réchauffement global, d’avant la fonte des glaciers. On peut aussi penser que la montagne se prépare à une gestation mystérieuse d’un état métamorphique, qu’elle est dans un processus de métamorphose sur l’échelle d’un temps accéléré.

Ici l’artiste a trouvé un artifice – un dispositif imparable pour soulever des tonnes de matières inamovible: elle les liquéfie par un procédé alchimique qui les fait fondre et s’évaporer en une brume légère – les rendant ainsi accessibles à leur base (on peut les soulever, les contourner) et les voici légères comme des volutes de nuages. Ne dit-on pas communément: L’amour, la foi, la puissance de l’art nous rend capable de soulever des montagnes?

L’artiste propose un détournement inédit de la représentation habituelle que l’on se fait des paysages montagneux: en dévoilant leur aspect liquide, elle nous rend accessible par un procédé proche des estampes japonaises (jette dans) l’ébullition des volcans. Il y a de l’eau, du feu, de la glace : matières en mouvance qui s’activent en un système imperceptible que l’artiste révèle avec pugnacité. Elle a vu, pressenti, voit et pressent ce qui est caché au commun des mortels- au-delà de l’apparente robustesse du corps montagneux se cache et s’écoule une source d’inspiration continue.

Rima Ayache

Alexia Turlin, de l’Art et de l’Atterrissage

«Comme toujours, avec Alexia, cela avait commencé par l’une de ces rencontres dont elle cultive l’art. C’est aussi l’un de ses talents d’artiste-entremetteuse que cette capacité, au fil des choses et des situations anodines, à créer une intelligence rare des rapports humains. Et, mine de rien, avec malice et une innocence un peu retorse, retourner les situiations comme un gant et vous faire parler, vous qui étiez censé l’interroger (sur son travail)».

Jean-Pierre Greff, 2007

Les procédées Turlin

L’art en pente douce: méthode d’immersion. Alexia Turlin s’applique à répondre aux questions de l’art comme d’un geste désinvolte mais précis, elle s’arrche une peau morte à l’index. Soit, à la question de <l’univers>, elle rétorque par la déclinaison d’une ritournelle domestiquée: faites comme chez vous. Si on touche le fond, elle nous emmène à la montagne. Pour garde la forme, elle nous y plonge.

Elle nous plante dans un décor de rêve oû l’on glisse sur des formes souriantes ; du ludique au paradisiaque ou à un exotisme pré mâché, se décline un quête du bonheur par une mise en oeuvre d’un plaisir renouvelable. Le visiteur joue le jeu, se vautrant sur une moquette moelleuse, pour voir. Alexia Turlin renverse volontiers son spectateur en le couchant par terre ou en le jetant dans un pouf - amortisseurs semblant prévenir d’inévitables chutes de visiteur d’exposition. Le confort promis est en sous-tendu par cette attention préventive aux risques encourus, bien plus inquiétants que celui de se prendre les pieds dans la moquette. S’il est un danger auquel s’expose le visiteur, c’est celui de se donner es spectacle.

Sous couvert de faire l’expérience joussive et transgressive de regarder une oeuvre couché par terre en mangeant un hot dog. Alexia Turlin monte de toutes pièces (spectateurs compris) la scène dont elle sera le seul public, et don elle témoignera plus tard dans les multiples récits d’oeuvres qu’elle produit. La situation donnée implique la représentation involontaire du spectateur jouant son propre rôle et rendant publique, aussi bien que collective, l’intimité de son expérience du plaisir esthétique. Le renversement opéré, l’artiste est ses invités goûtent aux bienfaits de l’art sur le moral. (...)

Carla Demierre, 2007