Etienne Krähenbühl

Etienne Krähenbühl, l’homme qui fait danser et chanter la sculpture

Le métal, c’est par là que tout commence. Que tout est advenu et que tout continue d’être et de devenir. Un désir irrépressible et inguérissable de corps à corps avec la matière dure qui résiste, se cabre et menace, qui sonne, résonne et tonitrue à s’en faire sauter les tympans, mais qui s’apprivoise aussi, se caresse, se plie et se forge au feu et au chalumeau.

Dans son exaltation poétique de la matière qu'elle pousse jusqu'à ses extrêmes limites pour mieux faire réémerger les mouvements et les sonorités du plus profond de la terre et des âges, l'œuvre décline infiniment sa dialectique des contraires : entre l'archaïque auquel ils renvoient et le technologique avec lequel ils jouent sans avoir l'air d'y toucher ; entre pesanteur naturelle des matériaux et légèreté apparente de leurs ébats ; entre concept et sensualité, monumentalité et intimisme, puissance et fragilité, menace et tendresse ; ou comme l'artiste aime à le résumer, entre « le sublime et le dérisoire ».

Rien de monolithique dans l’œuvre du sculpteur. Surtout pas ! L’homme est allergique à toute idée normative, fût-elle choisie par lui. Bien plus que la marque du style qui permet l’identification de l’œuvre au premier coup d’oeil (même si, de facto, la plupart de ses pièces se reconnaissent aussi d’emblée), c’est la gestation perpétuelle et le bouillonnement du work in progress qui caractérisent sa démarche. Entre art et science, philosophie et poésie, le travail d’ Etienne Krähenbühl est désormais celui d’un chercheur à la fois matiériste et métaphysique à l’affût des phénomènes naturels, à l’écoute des grandes questions existentielles et en quête d’une sublimation poétique de la matière.

Extrait. Françoise Jaunin

...Des sculptures qui chantent, qui dansent, lourdes et légères, ludiques et graves. Une longue conversation passionnée, la traversée de la forge de Vulcain ! Depuis quarante ans, Krähenbühl dompte le métal et parle avec lui...
...On pourrait faire une liste de contraires : le stable et le mobile, le solide et le fragile, le transitoire et l’éternel, le corrodé et le lisse, le sonore et le silencieux, le lourd et l’aérien, le fer et le papier, le grave et le ludique, et ainsi de suite…
...Une chose est sûre : Il n’aime que le métal, il n’y a que le métal qui lui parle.
Métal vivant, comme un corps, comme une peau, que le temps corrode. Métal traversé d’ondes, qui le font vibrer, qui lui donnent sa voix, métal soulevé par la brise.
Voir ses Bing Bang ! Le plus lourd pèse quatre tonnes et un rien l’anime, il peut émettre un fracas de tonnerre et un murmure à peine perceptible…
....Très souvent le mot gravité revient dans les propos de Krähenbühl. La force de la gravité, mais aussi celle des pensées que ces sculptures suggèrent.
Encore plus souvent, le mot temps : on ne côtoie pas impunément un matériau qui parle d’éternité, mais que le temps corrompt, corrode… La rouille, c’est un
hâle léger, mais la corrosion, c’est le temps qui s’inscrit dans la chair du métal. Le temps, c’est aussi le temps infini passé à tordre, découper, limer, souder, poncer.
C’est une fatigue infinie, des mains abimées, un dos brisé, un travail épuisant. Pour aller d’où à où ? De l’idée qui surgit dans l’esprit, légère, impalpable, jusqu’à l’œuvre achevée.
Au départ, il y a la poésie. Et au bout du chemin, la poésie.

Extraits émission «Comme il vous plaira» RTS

« L’artiste se joue des propriétés physiques des matériaux. Il crée des œuvres dans lesquelles le son, le mouvement, le contraste entre monumentalité et fragilité acquièrent des rôles de premier plan. Produits d’une compréhension profonde des
possibilités d’expression de la matière, les sculptures d’Etienne Krähenbühl nous proposent une nouvelle et fascinante réflexion sur nous-mêmes et sur ce qui nous entoure. »

Joan-Francesc Ainaud