Laurent de Pury

Laurent de Pury, l'homme des bois qui dessine dans l'espace

« C’est un double jeu: j’interviens et je me laisse guider », un dialogue infini et fertile entre la nature qui propose et l’artiste qui recompose. Le bois, Laurent de Pury en a depuis trente ans et plus fait son matériau d’élection et son inépuisable champ d’exploration. Et « je ne suis pas encore sorti du bois... » sourit le sculpteur qui a vécu ses douze premières années au Cameroun, où l’exubérance végétale de la forêt primaire et le tissu de contes et légendes qui lui est lié l’ont marqué au plus profond. Mais pas trace d’inspiration ethnique ou primitiviste dans son travail pour autant. C’est un lien très fort qui l’unit aux arbres, atavique, presque organique et plein de respect. Mais il en tire son langage personnel, ses souples géométries, ses élans verticaux, ses rubans sans fin, ses entrelacs, ses écriture sans paroles, ses lignes épurées qui dessinent et architecturent l’espace. Si le foisonnement immersif de la forêt le ressource et l’inspire, le désert ne le fascine pas moins avec son ascèse et son vide magnifique. Pleins et vides sont aussi les grands acteurs de sa sculpture. Le vide surtout qui s’y taille la plus grande part, émaciant les volumes jusqu’à la ligne. Car comme en musique où le son n’existe que par rapport au silence, c’est le vide qui vient donner leur sens et leur tension à ses tracés.
A la fois instinctif et rigoureux, l’artiste part toujours de la forme naturelle de la branche ou du tronc. Le chêne a sa préférence, qui offre tout à la fois une grande résistance et les contorsions et ramifications nerveuses de sa structure.
Le charme l’intéresse aussi, bois dur également, mais que sa moins grande robustesse prédispose aux pièces d’intérieur. Et quand une invitation ou une commande l’amènent sous d’autres cieux, c’est toujours avec les matériaux du crû qu’il travaille : l’olivier au Maroc, l’amandier dans le Midi...
Dans le bois, ses gestes restent simples, humbles, bruts : équarrir, refendre, abouter, assembler, cheviller, coller, poncer... Son artisanat se veut délibérément minimal. Pas de démonstration de virtuosité ni de perfection de métier. Le savoir-faire ne l’intéresse que dans la mesure où il fait sens dans le processus constructif. Et si ses oeuvres restent proches de l’arbre et d’une dynamique de poussée végétale, elles n’en sont pas moins complètement recomposées.
Par minces segments de section carrée qui rappellent le façonnage élémentaire des poutres, ses sculptures mettent bout à bout des segments qui tirent parti de la courbure de la branche, de ses ramifications et de ses mouvements naturels, mais leur en inventent d’autres aussi, surprenants, très graphiques et poétiques, qui les suspendent en état de grâce et de légèreté. Conjuguant chantiers de construction et histoire de l’art, ses inspirations formelles puisent aussi bien à sa fascination pour les ossatures des architectures navales et des charpentes de toitures, qu’à ses admirations artistiques contemporaines qui placent Giuseppe Penone, Toni Grand et David Nash au sommet de son panthéon personnel. Il aime aussi comparer sa démarche – lui qui oublie parfois de signer ses pièces – à celle des artistes aborigènes qui transmettent quelque chose qui les dépasse et qui est hors du temps. Car même si son langage sculptural dépouillé, silencieux et dépourvu de socles est clairement contemporain, Laurent de Pury se sent a-temporel et très loin des discours analytiques et critiques d’un certain art contemporain sur la société d’aujourd’hui. Il n’en est pas moins totalement engagé dans cette mission fondamentale de l’artiste qui est d’« entrer en résonance avec le monde ».

Françoise Jaunin

Aujourd'hui encore, le bois est la base de mon travail. J'engage un dialogue où se mêlent alternativement l'écoute et l'orientation faites au matériaux. C'est mon champ d'exploration. Les directions sont partiellement données. Les développements réalisés sont distincts mais offrent une constante: ils sont en partie prédéterminés. Je me considère comme un promeneur qui déplacerait au gré du cheminement les repères d'orientation. Restituer l'angle sous lequel on regarde un objet, un environnement, c'est créer un déplacement, un décalage indispensable à la stimulation de nos conventions de lecture...

Laurent de Pury

Dans la jouissance protéiforme qu'offrent les champs de l'Art d'aujourd'hui, la notion de mémoire est omniprésente. La mémoire de l'humanité, essentielle... et dérangeante. L'accumulation est impressionante. Le peu que j'en retiens me renvoie une image fascinante mais "abymée", vertigineuse et qui frise la nausée. Mon terrain d'exploration se situe moins dans cet espace de culture et de mémoire marqué par le génie de l'Homme que dans celui plus silencieux de notre environnement naturel. Le monde végétal, en particulier, offre une forme de permanence, de respiration. Le dialogue s'opère sur d'autres territoires.

Laurent de Pury, novembre 2011

Les sculptures, de Laurent de Pury ont une indéniable qualité graphique. A tel point que le travail en volume semble souvent avoir pour principal objectif de rendre explicite le tracé inscrit dans la masse d'un corps. Une branche, par exemple, peut ainsi se trouver amaigrie jusqu'à n'être plus que le corps de ce tracé. La ligne émaciée l'emporte sur la ronde-bosse pour suivre un mouvement naturel épuré de tout pittoresque: les baguettes du Forum de Beaulieu, réunies en faisceaux, sont autant de possibles trajets, entre sol et plafond, de lignes sylvestres indéfinies.
Cette géométrie élémentaire repère et, littéralement, met en relief des situations simples: brusque changement de direction, bifurcation pour cause de ramification, etc. Elle sait aussi les provoquer: intersection de deux lignes, fermeture d'un segment.
Il n'y a pas d'indétermination dans l'oeuvre de Laurent de Pury, à la différence de ce qui se passe chez cet autre sculpteur de la géométrie qu'est Bernar Venet. Cela ne signifie pas pour autant une soumission exagérée au déterminisme physique. Les tracés qui structurent l'oeuvre sont d'origine végétale ou s'inspirent très franchement des processus de croissance qu'on observe dans ce règne. Une ligne de bois peut suivre le profil de la branche dont elle est dégagée puis se trouver "assistée" de telle façon que sa trajectoire adopte l'allure générale souhaitée. Le plus souvent, la transition est difficile à repérer, signalant une surprenante connivence entre la volonté spontanée de la nature et celle réfléchie du sculpteur. La séparation traditionnelle entre nature et culture n'est pas reconduite, l'ensemble de l'oeuvre interrogeant plutôt la pertinence d'un tel découpage...

Hervé Laurent

Le bois est par excellence "la materia prima" et renvoie à la tradition et au sacré. De cet héritage, Laurent de Pury retient essentiellement deux choses : l'attachement aux valeurs intrinsèques de la matière  - vivante ?- et le rapport à la nature qui la génère. L'artiste affectionne ses pérégrinations en forêt, il a besoin de ce contact avec la nature inspiratrice et productrice de son matériau de prédilection.
Une fois le bois récolté, il coupe, il émonde les branches et les fragments d'arbres et il se laisse inspirer tant par la texture que par les courbes naturelles. A partir de ces morceaux épars, il taille de fines bandes sinueuses, il les ponce et les laisse à l'état brut. Puis l'artiste crée ses volumes sur la dichotomie entre le plein et le vide. Il rassemble chaque pièce en une série de trois groupes posés verticalement. La structure paraît à la fois compacte et transparente, chaque élément gardant son indépendance formelle tout en étant constitutif du tout. De Pury revisite l'arbre. De cet archétype fondamental, il ne retient que l'idée du tronc. Point de feuilles, de ramures, ni de racines, mais un entrelacs d'éléments, un condensé de lignes tendues évoquant le flux, l'émergence de la forme et ainsi celle du volume.

Cette construction ascensionnelle, récurrente dans le travail de l'artiste, témoigne aussi d'une volonté d'architecturer l'espace. Cherche-t-il à joindre le sol et le plafond ou au contraire à les disjoindre et ainsi créer un espace à investir? Ce rôle de soutien fictif, cette fonction de pilier d'un édifice virtuel, dialectise le rapport entre l'objet et le lieu. Dès lors, comment regarder sans prendre conscience que tout s'organise autour de la non permanence de la forme, sans considérer que hors du lieu, l'oeuvre n'existe pas. Cela nous renvoie à une réflexion phénoménologique : l'idée de la perte du volume, autrement dit, la confrontation au vide, devient indissociable de l'acte de voir. Le sculpteur, en remplissant l’espace visuel d’une manière éphémère, repense le rapport du volume et du vide. Et de toute évidence, il remet en question, il remet en question notre manière habituelle d’envisager le monde visible en général et celui des oeuvres d’art en particulier !»

En développant ce type de problématique, Laurent de Pury poursuit la quête d'une oeuvre qui soit pertinente dans sa représentation physique aussi bien que dans sa dimension symbolique. En cela, il élargit les formes traditionnelles de la sculpture avec légèreté et finesse.

Regards sur l'art contemporain II, Catherine Othenin-Girard