Klara Kuchta

Nous prenons la lumière de notre monde comme un fait naturel. Si naturel que nous ne sommes souvent plus capables d'en apprécier les nuances, de percevoir les mouvements produits par ces dégradés, de saisir que les lieux dans lesquels nous vivons sont davantage définis par la lumière que par leurs formes matérielles. Mais si l'on prête le regard à ces phénomènes dans leur subtilité qui tend à l'imperceptibilité, on voit forcément les choses différemment. Fascinée par la richesse de ces événements, Klara Kuchta est une de ces personnes qui savent porter une attention indéfectible à la lumière et à l'obscurité, au soleil et à l'ombre, à l'espace et au temps. Profondément ancrée dans une poésie de l'espace, sa démarche plastique engage la lumière. Pas seulement parce que celle-ci révèle les objets ou les lieux en les illuminant, mais en ce qu'elle est porteuse de sa propre révélation. Des lumières, des couleurs sont en suspension, comme en dehors du monde des objets, dans un espace fragile où la chose n'a plus guère de présence tactile. Les plaques de verre, les spots lumineux, une boule constituée de petites surfaces réfléchissantes - les matériaux dont Klara Kuchta se sert fréquemment - ne constituent que le support physique de ses œuvres. Mais l'essentiel est ailleurs. Plus que pour leur matérialité et leur présence, c'est pour les "effets" qu'ils produisent qu'ils sont minutieusement recherchés et choisis. En travaillant avec l'immatérialité, Klara Kuchta aiguise notre perception visuelle, notre sensibilité à la lumière, stimule "cet inconscient de la vue" (W.Benjamin). L'expérience individuelle que ses œuvres suscitent - la sensation de la dislocation de la multitude des points lumineux éclatés sur les murs, les délicats changements d'intensité parfois à peine soupçonnables, le faisceau érigeant un sentiment de l'espace et de l'architecture, les rythmes qu'induit le temps, la qualité des nuances données par la particularité des différents sources lumineuses, la rencontre du rayon lumineux et de l'objet, la déformation de ses projections, son aspect phénoménologique livrant l'arc-en-ciel des couleurs - ne s'épuise pas dans la reconnaissance instantanée des propositions visuelles mais, a contrario, redéfinit notre relation au monde.

Françoise Ninghetto, Septembre 1996