Olivier Estoppey

Ce protestant a déjà tenté, avec sa petite famille, de s’évader. Cap au Sud ! Ils l’ont repris. Le voilà attaché à sa table, n’ayant plus pour lui que les nuits et le rêve. Il déborde d’histoire dont personne n’a jamais entendu la fin. A l’aise dans son corps de boxeur mi-lourd, il est sérieux, refuse la plupart du temps de descendre dans la cour lors des récréations mais lorsqu’il y est, il y est bien et joue comme on doit le faire, avec passion. Ne vous fiez pas à son air doux, à ses attitudes de paysan endimanché, à ses sabots. C’est un mégalo ! Il ne veut pas animer l’espace, déconstruire la vision ou donner à penser. Il n’est pas des vielles avant-gardes, il ne veut pas étonner, provoquer, maltraiter le public. Il veut émouvoir, intriguer, bercer, prendre des risques, partir à l’aventure, voir grand. Il se méfie des mots et ceux-ci le lui rendent bien. Je ne sais pas pourquoi mais pour moi il est aussi ce soldat jeune, bouche ouverte, tête nue. Sans doute parce qu’il est si fidèle à son poste… Va ! Sculpte, dessine, scie, cloue, colle, assemble, photocopie, peint, donne, donne, donne ! Il a un rapport d’attraction-répulsion vis-à-vis de l’architecture, des historiens d’art et des fruits de mer, vielle blessure toujours suppurante. Si l’aigreur ne l’entame pas, ses récits plastiques vont s’épaissir, gagner en profondeur, envoûter. Dormeur du Val, il a dans l’esprit plus d’un bestiaire, des elfes, des farfadets et de sibyllines sirènes. Passerelle, cage, bateau, chanson archaïque, refrain de prisonnier, tout est ambition ramassée sur elle-même et prête à bondir. Le buffle est patient et le rhinocéros véloce. L’avez-vous vu, l’Estoppey qui se tricote à la lumière de la lune une échelle de songe ? Ne renie pas… Creuse ! Si ils savaient… Nous sommes tellement riches, pleurs salés et rires en murmures. Et moi je m’en allais, les poings dans mes poches crevées.

Yves Tenret

Voici les Eaux-Vives Voici le monde.
Ils passent depuis le fond des âges.
Je les regarde.
Ils sont innombrables et s’avancent pressés les uns contre les autres. Ils sont femmes, hommes, adolescents ou vieillards, escortés ou non de bagages et d’enfants ou de chiens. Leur progression dans l’espace est privée de cap général et semble absurde. Ils marchent ou s’élancent comme pour courir, hésitent avant de sembler fuir et finissent par s’absenter aux quatre points cardinaux. Puis ils reviennent quelques minutes plus tard comme ils l’avaient fait quelques heures plus tôt et peut-être la veille, et comme ils recommenceront demain sans logique repérable, sous leurs propres traits ou glissés dans la silhouette d’un congénère éperdu parvenu de la Sicile ou de Lesbos et rejoignant
Calais ou quelque autre port ouvrant sur le rêve.

Avant que l’une ou l’un d’entre eux, soit-elle femme ou soit-il homme et peut-être enfant sinon chien, s’immobilise et devienne statue de béton infiniment figée par des perceptions inouïes. Puis chacune en gagnant d’autres par l’exemple, les voici bientôt toutes érigées dans le flux qui les environne, faisant pièce aux vivants déferlant sans relâche aux alentours et finissant par les excéder en durée comme en présence. Il y en aura six, ou neuf ou douze ou moins, selon les vibrations de l’air. En contrepoint fraternel aux passants infinis, elles diront le songe et la concentration que le siècle affole.

Christophe Gallaz

Au travers de 13 loups présentés en meute dans l'espace du jardin du Palais Royal, c'est dans un univers très expressif que nous convie Olivier Estoppey. A la fois dessinateur et sculpteur, son thème de prédilection est la figure humaine qu’il emprisonne dans de grands dessins à la mine de plomb, dans des gravures ou encore dans du béton, matériau qu’il pratique chaque jour,
et grâce auquel il a donné vie à ces loups. Enthousiasmé par la force et la grâce de l’œuvre d’Olivier Estoppey, qu’il découvre en 2005, lors de la triennale de sculpture contemporaine suisse Bex &Arts, le réalisateur Pascal Thomas a fait de ces loups l’un des principaux éléments du décor de son dernier film, Le Crime est notre affaire, où il revisite une nouvelle d’Agatha Christie.

Extrait Communiqué de Presse Jardins du Palais-Royal, Paris