Isa Barbier
Hermance 2024 Art en Plein Air
Le travail d’Isa Barbier est à la fois graphique et spatial: des sculptures, d’essence minimale, aux grandes installations suspendues constituées d’éléments organiques, principalement des plumes, mais aussi pétales, feuilles…Pour le parc d’Hermance, l’artiste imagine des interventions sensuelles et aériennes. De fins rubans de satin flottent joyeusement, leurs longues jupes soulevées par les brises légères, comme autant de réminiscences des penons, bouts de ficelle qui indiquent la direction du vent et que l’on place sur les haubans des voiliers glissant sur les eaux du lac, tout proche. Se déployant dans une étreinte voluptueuse autour d’un tronc d’arbre ou virevoltant sur les thermiques du lac, les délicates plumes de goéland ramassées par Isa Babier le long des rivages marins - créent un lien organique entre l’écosystème de la Méditerranée et celui du lac Léman. Leur fragilité et leur caractère éphémère dans cette installation en plein air, soumise aux aléas de la météo, libèrent un puissant potentiel poétique qui n’a d’égal que leur évocation sans appel de notre finitude.
L’oeuvre est entre disparition et continuité. Sa vie dépend de nos gestes. ll faut oser la toucher, avec délicatesse, patience, souplesse pour la maintenir en vie mais aussi accepter la fin de l’oeuvre, un jour que l’on décidera ou un jour accident.
Isa Barbier
D’un vide central pour « 0 », à un centre éclaté pour «éclat gris et bordeaux», les plumes racontent le temps, le temps des cueillettes, le temps des préparations lentes.
D’un fil de nylon fin comme cheveu recevant les plumes emperlées de cire, à l’utilisation d’un fin fil de fer permettant une démarche plus rapide, l’œuvre garde toujours la même vibration. La géométrie aussi est toujours constante, mais «au lieu de fixer l'installation dans une stabilité inerte, le géométrique est subverti pour en induire le mouvement, quelque chose qui inaugure en même temps le processus de désagrégation des formes jusqu'à leur total effacement.
Livrée aux variations de nos déplacements autour d'elle, l'œuvre se libère de sa composition et impose seulement la force de sa présence éphémère, définie en fin de compte comme la coïncidence momentanée de sa forme avec sa seule exposition aux regards.»
Céline Aubertin... «Les oeuvres d’Isa Barbier sont des installations, des mises en scène de l’espace, qui ne proposent aucune sculpture au sens classique, aucun objet aux formes lisses et moulées. Ce sont des volumes insaisissables faits de plumes d’oiseaux, ramassées sur les îles du Frioul et d’ailleurs, et accrochées par des petits points de cire sur des fils invisibles.
Ces oeuvres semblent sculpter l’espace lui-même comme une matière incorporelle, la matière invisible du milieu qu’elles n’occupent pas, qu’elles remplissent de leur légèreté, de leur fragile suspension. Comme des atomes soudain rendus à une visibilité impossible, les plumes d’Isa Barbier viennent comme ensemencer le vide, et lui donnent alors un volume inattendu, une existence rendue visible comme en transparence » ...
Céline Aubertin (extrait) Brochure le mois culturel, VallaurisCe qui apparaît, comme au théâtre, est une illusion concrète, des ailes d’anges flottant dans l’espace comme des poumons envolés. Le travail du dessin, inaugural, est formé de précipitations de traits, d’expérimentations géométriques promises à l’ascension. Epicure appellerait peut-être cela le clinamen.
Ce sont des organisations archétypiques, des symétries, des répétitions. La mine de plomb est d’une légèreté considérable. Isa Barbier (née en 1945) invente des « épiphanies païennes », selon la belle expression de Nathalie Ergino, qui a pu repérer chez l’artiste quatre types de travaux : « les dessins sur papier », « les reliefs muraux », « les installations in situ », « les microstructures ou « presque » rien de tarlatane, de calque, de feuilles ou de plumes ».
Ses œuvres sont en effet des microcosmes, des propositions d’êtres destinées à dialo- guer avec les lieux qui les accueillent, des invitations à la méditation. Ce sont des royaumes aériens, des corps soufflés, pneumatiques, des vibrations musi- cales organisées en constellations. Il y a ici de la liturgie, une façon de chorégraphier l’invisible en constituant des nuées aussi inspirantes qu’apparemment éphémères. Il y a des pluies d’atomes, des nuages, des spirales, des suspensions de vide. Isa Barbier enchante l’espace, l’ouvre en le dessinant en une multitude de points d’équilibres, fascinants parce qu’impossibles à tenir, et pourtant stables comme des couronnes nuptiales. Isa Barbier nous apprend à vivre sur la pointe des pieds, à nous déplacer sans bruit, à tourner sur nous-même comme une élégante sous sa capeline de plumes»
Poussées par la notion d'impermanence, les œuvres d'Isa Barbier se fondent sur une quête d'harmonie avec l'univers. Par des principes de répétition, de symétrie, de rayonnement, ses œuvres tendent à s'approprier ce germe universel porté jusqu'au mouvement des astres. Ainsi ordonnées dans l'espace, les feuilles et plumes utilisées depuis la préhistoire dans le champ du cosmétique (de Kosmos), en deviennent les atomes intemporels. De l'organicité de la matière à sa dimension cosmologique, Isa Barbier nous révèle à travers la répétition méditative de ses gestes, la puissance de régénérescence du vivant.
Nathalie Ergino, Directrice de l'Institut d'Art Contemporain - Villeurbanne/FranceIsa Barbier, Insaisissable ...
Des effets de miroir, des allers-retours entre les oeuvres et ses "Chevelures de Bérénice" comme les fantômes d'un passé réactualisé: l'artiste française vient enchanter l'espace-temps offert à l'infini du présent, sculptant dans l'apesanteur la continuité d'une oeuvre, sa sécrète permanence donnée à l'aune d'un perpétuel recommencement. Figures fragiles de l'immanence qu'un souffle suffit à bousculer, ces compositions de plumes telles des évidences évidées, renvoient à l'espace de l'entre-deux des choses, plus qu'aux choses elles-mêmes. “Le centre du monde est partout, le ciel n'a plus d'angles {...)“, écrit le philosophe français Alain Chareyre-Méjean à propos de ces installations dont le "côté sublime tient é ce qu'elles délient la réalité des limites" jusqu'à se fondre dans leur propre entourage. Ces bruissements d'éternité réalisés in situ seront accompagnés de plusieurs "Chevelures de Bérénice", témoins du déroulement du travail de l'artiste. En effet, à chaque fin d'exposition , Isa Barbier détruit son installation qu'elle métamorphose en "chevelure", poussières de plumes qui conservent , sous une autre forme, la mémoire de l'oeuvre initiale....
Viviane Scaramiglia, 2014 — Extrait du texte Magazine ArtPassions 39/14L’art du temps
L’apesanteur, un bluffant spectacle de plumes bruissant dans le poids du rien comme des poussières d’atomes, qui sculptent la brûlure du temps, cet instant fragile suspendu comme un souffle entre l’hier et ce qui peut advenir. A la Ferme-Asile de Sion, la plasticienne française continue de dérouler son œuvre infiniment troublante. Sa reprise de « La barque » créée in situ en 2007 : une fiction du provisoire comme une façon de faire palpiter la mémoire, la durée, la renaissance et la magie de l’éternel inachevé. Sur la mezzanine de la salle d’expositon, l’embarcation n’est plus apparition, comme autrefois, mais disparition. Sous la lumière rasante, elle s’effondre sur le sol, éparpillée comme des fragments du souvenir, tandis que, de cette œuvre faite un jour puis détruite, jaillit une présence nouvelle, une monumentale sculpture sans poids nommée Curiosity, comme le rover parti à la conquête de la planère rouge. De l’une à l’autre, entre passé et futur, la longue chevelure de Bérénice comme l’illustration de l’attente. « Délicates, mais vivantes et indestuctibles, les plumes constitutives d’une sculpture sont souvent reprises dans la construction d’autres corps. On peut s’en défaire le temps d’un silence, le temps d’une pause, et plus tard, les faire renaître. Ce n’est jamais fini. C’est un cycle, exactement comme le processus de la vie. » C’est ainsi qu’Isa Barbier joue sur tous les temps, les superpose, les met en dialogue dans des effets de miroir, noue leurs flux et ce qui noue en échappe par des fils invisibles…
Viviane Scaramiglia - Extrait in The Watches Magazine, n° 31, hiver 2012